jeudi 14 mars 2019

Les défis des composites : produire moins cher, vite,et recyclable



     Aéronautique, automobile, bâtiment, sport…Les composites avancent sur tous les fronts. Les PME françaises contribuent aux progrès qui restent à accomplir pour avancer dans l’industrialisation de ces matériaux.
     La notion de matériaux composites est assez large. « C’est l’association d’au moins deux composants non miscibles qui, réunis, ont des propriétés meilleures que ces mêmes matériaux pris séparément », résume l’ingénieur Laurent Aubertin, du pôle de compétitivité EMC2 à Nantes.
     On parle là principalement de fibres, souvent de carbone, amalgamées à de la résine, cette association offrant des avantages incontestés de légèreté, de rigidité et de résistance. Dès lors, les composites n’ont donc pas fini de gagner du terrain, sur le métal principalement.

1)      CONQUÉRIR DE NOUVEAUX USAGES

     « Plus de 50 % de la masse des nouveaux avions, dont l’A350 et l’A787, est désormais faite de composites, contre de 20 à 25 % sur les générations précédentes ». Ces nouveaux matériaux s’invitent au cœur même des réacteurs (fan et aubes) Leap de Safran.
 Maints autres usages se révèlent. La société angevine Hydrovide a, par exemple, conçu un camion-citerne équipé d’une cuve en composite, permettant l’allègement de l’engin et une résistance aux fluides corrosifs. L’enroulement filamentaire favorisera l’avancée des réservoirs de véhicules à hydrogène. Sans parler de la structure des voitures que les carbones vont alléger plus encore. Dans le bâtiment  aussi un large champ des possibles est attendu  avec des bétons armés aux composites. Pour les mêmes raisons de poids et la résistance à la corrosion, on évoque de nouvelles applications tubulaires pour la prospection d’hydrocarbures de grands fonds. On imagine aussi des patchs pour consolider les ouvrages d’art. « Les composites seront une source d’inspiration pour les architectes». Ces matériaux sont aussi loin de leur apogée dans le domaine sportif sans eux, point de foils pour les voiliers – et dans l’équipement de la personne, sur le plan médical ou des exosquelettes.

2)      UN BEL EXEMPLE D’UTILISATION DES COMPOSITES

     Une jeune entreprise de Charente-Maritime, Elixir Aircraft, a présenté un concept unique au monde d’avion totalement en composite ». Grâce aux composites et une technique de production unique, nous avons mis au point un avion qui compte quelque 600 éléments, boulons compris, alors que le concurrent direct, la Cessna Aircraft Compagny, qui n’a pas évolué depuis un demi-siècle en compte 17000 ». L’essentiel de l’avion est composé de huit pièces seulement, en composites monoblocs, à l’image des ailes, ou plutôt de l’aile monobloc, un seul ensemble sur lequel vient se fixer le fuselage, le « corps » de l’engin.

      Moins de pièces, c’est plus de sécurité, finis les rivets, aucune vis ou longeron. Oubliés la corrosion, le pourrissement, le défaut ou l’usure de structure. Cette technologie réduit de 30% les coûts de maintenance de l’avion par rapport à sa concurrence. La légèreté de l’aéronef réduit sa consommation en carburant  et donc son coût d’exploitation (12 à 16 litres par heure à la vitesse de 300 km/h contre 30 litres/h pour un Cessna à la même vitesse) .
     Son prix de vente est aussi révolutionnaire : 150 000 euros « c’est plus de deux fois et demie moins élevé que la concurrence sur le même segment ». Depuis son premier décollage (Aout 2017), cet avion Elixir a passé tous les tests de sécurité et de résistance. Un bel exemple d’évolution des structures en aéronautique et d’utilisation des composites.

3)      MONTER EN CADENCE

     Produire plus vite et donc moins cher, l’enjeu clé de la filière. « La production de pièces en composites reste artisanale, même si on avance dans l’automatisation », admet Stéphane Cassereau, directeur de l’IRT Jules-Verne, expliquant qu’il faut aller plus loin pour mieux s’inscrire dans les futurs programmes aéronautiques et aux cadences de l’automobile. Il faut donc parfaire l’automatisation du placement des fibres, des renforts rigidifiant les pièces, le dosage des quantités de matières au bon endroit selon les épaisseurs voulues. Il s’agit également de répondre à la problématique des grandes pièces, telles de pales d’éolienne ou les coques de bateau où les composites permettent de s’affranchir d’outillages et de limiter l’assemblage.

4)      GÉNÉRALISER DES THERMOPLASTIQUES

    Avec la technologie thermodurcissable, la plus répandue, la pièce doit être réussie du premier coup. Impossible de la modeler une fois la résine prise. La technologie des thermodurcissables, en revanche, permet de travailler la pièce après coup, comme le métal. Il est également possible de souder des éléments thermoplastiques (par laser, induction, vibration…), travailler sur de plus petites séries et limiter le nombre d’outillages (moules). Sur certaines pièces de sécurité, dans l’automobile, cette matière résiste mieux aux chocs. « On peut aussi créer des mixtes avec l’injection plastique ». 

Les thermoplastiques sont aussi recyclables et ne produisent pas d’émanations de styrène. L’usine nantaise de Daher est considérée comme l’une des références dans la maîtrise des thermoplastiques. L’équipementier y fabrique par milliers des clips pour fuselage d’avion. Les groupes Dedienne et Sintex NP ont aussi un coup d’avance en la matière. Mais la mise en oeuvre reste à améliorer. C’est l’un des grands défis des IRT Jules-Verne ou Saint-Exupéry ou du Cetim, qui ont investi des millions d’euros dans des lignes pilotes.

5)      RÉDUIRE LES COÛTS

     Le prix élevé des composites tient en partie à l’emploi de fibres de renfort en carbone, dont le coût se situe entre 15 et 20 euros le kilo. Le défi du programme Force est de ramener ce prix à 8 euros le kilo. Le Centre technologique Canoe et l’IRT Jules-Verne ont inauguré en octobre 2018 une ligne pilote semi-industrielle de fibre de carbone économique à Lacq (Pyrénées-Atlantiques). D’un coût de 3 millions d’euros, cet équipement offre une capacité de production de 2 tonnes de fibre par an, donnant matière à expérimentation. La fibre développée est une alternative au polyacrylonitrile (ou PAN), le matériau de référence utilisé aujourd’hui, inabordable pour l’industrie automobile. Il met en œuvre des matériaux alternatifs, biosourcés ou recyclés, tels les dérivés de la biomasse ou encore les polyoléfines. Force qui mobilise au total 18 millions d’euros est très mobilisateur. Faurecia, PSA, Renault, Plastic Omnium, Stelia composite ou Decathlon, sont partie .

6)      RECYCLER

Les matériaux composites n’ont pas bonne réputation sur le plan environnemental. Leur recyclage n’en est qu’à sa genèse. Le procédé Thermosaïc, développé par le Cetim Grand Est, permet de récupérer des pièces au rebut pour recréer de nouvelles plaques de composites thermoplastiques. Il devrait être industrialisé à moyen terme. La recherche de produits recyclables avance, l’une des références étant la résine Elium du chimiste français Arkema. Une autre piste est l’introduction d’une part de matériaux biosourcés. La fibre de lin est déjà utilisée dans les intérieurs de portes automobiles, mais pas encore sur des pièces structurelles. Mais on ne sait pas encore séparer le lin de certaines résines dans lesquelles il est amalgamé. « Le lin a l’avantage d’être léger et sa forme creuse lui confère des propriétés acoustiques ». La fibre de chanvre et de bambou présente aussi des atouts de légèreté. Le projet  Filsit mobilise le nantais Omega System et la société bretonne Nanovia, qui développe des filaments pour l'impression 3D à base de chute de bandes de carbone, générés par les machines à placement de fibres.

7)      INTÉGRER DE L’INTELLIGENCE

     Contrairement au métal, on peut définir la recette des composites, à la carte. Cela permet d’y intégrer des systèmes filaires, des antennes et autres objets connectés. « On peut ainsi les rendre intelligents en leur apportant des fonctionnalités complémentaires ». (Il est possible d’imaginer des systèmes antennaires dans le toit de camping-car par exemple). Naval Group s’intéresse depuis longtemps à cette intégration sur ses navires de guerre. La société bretonne Sense in développe des systèmes de capteurs permettant de mesurer la déformation et la tenue mécanique de la matière. Cela soulève d’autres défis techniques, dont la compatibilité des matériaux, car il ne faut pas endommager l’objet communiquant dans le bain de résine. Les procédés composites permettent aux industriels de répondre aux enjeux d’allègement des structures et de fabrication de structures complexes. 

8)      LES PREMIERS ROBOTS

     Certains sous-traitants comme Pika (Pyrénées-Atlantiques), spécialiste de la découpe métallique, ont mis cette technologie à leur portefeuille en investissant dans des équipements industriels. Mais derrière l’aéronautique, c’est l’ensemble de l’industrie et des grands donneurs d’ordre, notamment dans le transport. Obligeant ce tissu de PME à se mettre au niveau et à monter en compétences en s’appuyant au besoin sur des centres techniques. Les patrons sont poussés à acquérir des moyens de production permettant de travailler des pièces de grande dimension. L’enjeu est d’industrialiser les processus de production avec l’apparition des premiers robots. Des moyens qui arrivent dans les entreprises les plus importantes. « Le fait d’utiliser des composites dans l’aéronautique entraîne de nouvelles exigences en termes de contrôle qualité et de traçabilité avec l’apparition d’appareils de contrôle non destructifs », insiste Jérôme Raynal, responsable du développement des activités composites au sein du groupe Institut de Soudure.


     L’usine DASSAULT d’Anglet utilise un robot KUKA pour construire, lames après lames, des pièces volumineuses en composite pour ses avions d’affaire.
     Le problème de la santé des opérateurs a longtemps été pointé du doigt à cause des émissions de composés organiques volatils (COV). L’apparition de nouveaux modes de production faisant appel à des moules fermés règle en partie le problème puisque les pièces ne sont plus produites à l’air libre. Il reste toutefois à ce que ces moyens de production soient généralisés. 

9)      CONCLUSION

       L’autre challenge est économique: où, à quelles conditions l’additif devient compétitif par rapport aux technologies qu’elle doit remplacer telles l’injection, l’assemblage mécano soudé, la fonderie ou la forge?
     Les nouveaux polymères, le pilotage des procédés, et la maîtrise thermique, sont aussi déterminants. Mais « des verrous restent à lever sur la caractérisation, la robustesse et la déformation des matériaux».
(tiré d’un article dans Les Echos)
Olivier